Bonjour,
En surfant sur le net, j'ai vu une recette qui m'a tentée, celle du Daoud Bacha. Cette recette nécessitait un mélange d'épices syrien, le bahar hilw. Ayant toujours été attirée par les épices, j'ai cherché quels étaient les ingrédients qui le composaient. J'ai trouvé et je me suis empressée de réaliser ce mélange. Entre-temps, j'avais perdu la recette du Daoud Bacha! Impossible de la retrouver. Mais, heureusement, dans les livres de recettes du Moyen-Orient que j'ai à la maison et sur internet, j'en ai rapidement trouvé plusieurs interprétations, assez différentes les unes des autres.
Avant de préparer ce plat, intriguée par son nom, j'ai voulu en savoir plus et j'ai découvert son origine : Daoud Bacha était le premier gouverneur de la province du Mont-Liban. Je ne connais pas grand-chose à l'histoire compliquée du Liban et j'ai fouillé un peu pour savoir qui était ce personnage. Ce personnage qui m'a conduite jusqu'à Biarritz... Vous allez très vite comprendre pourquoi, avant que je ne vous donne la recette.
En 1860, des massacres de chrétiens sont perpétrés par les Druzes dans la région du Mont-Liban. Les milieux catholiques français s'émeuvent et, invoquant le rôle de défenseur des Chrétiens d'Orient que joue la France depuis les capitulations, demandent à Napoléon III d'intervenir. Ce dernier consulte alors les autres puissances européennes (Angleterre, Autriche, Russie et Prusse) et, ensemble, après de nombreuses conférences, ils décident l'envoi d'une expédition chargée d'apporter une aide aux troupes du sultan ottoman afin de rétablir l'ordre dans cette contrée. La France fournit 6000 hommes et une escadre, les autres pays des navires de guerre. L'expédition dure du mois d'août 1860 au mois de juin 1861. Les grandes puissances obligent l'Empire ottoman à créer une province autonome, le Moutassarrifat du Mont-Liban. L'administration doit en être confiée à un chrétien ottoman non originaire du Mont-Liban. Le premier nommé est Garabet Artin, un Arménien chrétien, né à Constantinople en 1816. Il s'installe à Deir el Kamar, la capitale de la province. D'après ce que j'ai pu comprendre, il résidait dans le palais de Beiteddine, non loin de là.
J'ai trouvé sur internet quelques photos de ce magnifique palais que je vous montre ci-dessous.
Daoud Bacha sera moutassarref de 1861 à 1864 puis de 1864 à 1868.
Il meurt à Biarritz le 4 novembre 1873. J'ai trouvé dans les archives son acte de décès.
Ce document dit que Garabet-Artin Davoud Pacha (sic), né et domicilié à Constantinople, est décédé au Grand Hôtel Gardères où il résidait. L'acte est signé de Cyrille Gardères, "maître d'hôtel" du Grand Hôtel et témoin du décès.
Ce qui nous amène à l'histoire de Biarritz.
Cyrille Gardères ou plutôt Jean dit Cyrille Gardères est cuisinier quand il épouse Marie Eliza Monhau le 22 février 1854. Cette dernière a 17 ans et est la fille de Charles Monhau, "maître d'hôtel", propriétaire de l'hôtel Excelsior, l'établissement hôtelier le plus ancien de Biarritz.
Biarritz est alors encore peu connue mais l'impératrice Eugénie décide d'y prendre ses quartiers d'été. En 1854, Napoléon III décide d'y faire construire une résidence d'été pour la satisfaire. La ville devient le rendez-vous incontournable de l'été et de l'automne pour de nombreuses personnalités politiques et les aristocrates français et étrangers. Elle change de dimension et devient ville impériale.
Cyrille Gardères entrevoit avant tout le monde le futur développement touristique de Biarritz. En 1859, il achète un terrain au bord de la falaise sur la place de la Foire (l'actuelle place Bellevue), en face du Casino Bellevue inauguré en août 1858. Il y fait construire le premier palace de la ville en 1861 pour accueillir les grands de son époque. C'est le Grand Hôtel**, celui où a résidé Daoud Bacha.
Ce dernier, mal aimé à cause des lourdes taxes et des impôts nouveaux qu'il avait imposés, accusé d'être sous influence anglaise et en raison de divers problèmes religieux, avait quitté son poste de gouverneur du Mont-Liban en 1868. Je ne sais ce qu'il a fait entre 1868 et 1873, et ne connais pas plus la durée de son séjour à Biarritz.
Ce qui est sûr, c'est qu'il a laissé son empreinte au Liban par le nom donné à un de ses plats préférés, le Daoud Bacha.
Je vous en donne la recette que j'ai pu élaborer en m'inspirant de toutes celles que j'ai pu trouver dans mes livres et sur le net.
Daoud Bacha ou boulettes à la libanaise
Pour deux personnes :
- Pour les boulettes :
200 g de viande hachée (de boeuf ou d'agneau)
1 petit oignon
1 cuillerée à café bombée de bahar hilw*
Quelques feuilles de persil finement ciselées
Pour la sauce :
1 gros oignon
1 gousse d'ail
2 à 3 tomates fraîches ou en conserve pelées
Un bâton de cannelle
Une pincée de sucre
Sel, poivre
Huile d'olive
Une poignée de pignons
De la mélasse de grenade (facultatif)
Faire dorer les pignons dans une petite poêle et réserver.
Peler et émincer l'oignon pour la sauce puis le faire revenir à feu doux jusqu'à ce qu'il commence à se colorer. Ajouter l'ail écrasé puis les tomates pelées coupées en dés et laisser mijoter pendant une demi-heure environ avec un petit bâton de cannelle. Si vous le désirez, vous pouvez ajouter à cette sauce une petite pincée de sucre.
Pendant la cuisson de la sauce aux tomates, préparer les boulettes. Mélanger la viande avec les épices et un peu d'oignon et de persil ciselés très finement. Former de petites boulettes d'environ 3 cm de diamètre. Les faire revenir quelques minutes dans une poêle avec un peu d'huile d'olive puis les ajouter à la sauce. Faire mijoter doucement pendant 15 mn environ. Rectifier l'assaisonnement si nécessaire.
Servir arrosé de mélasse de grenade si vous le désirez, parsemer le plat avec les pignons réservés, accompagné de riz ou de riz aux vermicelles.
*Recette du bahar hilw
20 ml de poivre noir moulu
20 ml de cumin moulu
20 ml de paprika
10 ml de coriandre moulue
10 ml de clous de girofle moulus
3 ml de noix de muscade moulue
3 ml de cannelle moulue
2 ml de cardamome moulue
Bon appétit !
** Le Grand Hôtel, très inspiré de la Villa Eugénie, a tout de suite un immense succès. En 1875, une nouvelle aile est construite. Surnommé "l'hôtel des Rois", il compte deux cents chambres. Cyrille Gardères le cède en 1879.
Hôpital pendant la Grande Guerre, réquisitionné pendant la seconde guerre mondiale, il est mis en vente à nouveau en 1950. Le conseil municipal autorise la destruction d'une partie du bâtiment, qui est remplacé par la résidence Bellevue-Clémenceau en 1965. Seule une aile de ce bel hôtel subsiste aujourd'hui.
A bientôt !