Bonjour,
La première fois que je suis venue au Mali, c'était par la route. Après avoir traversé le désert si inhospitalier du Tanezrouft, quand on arrive à Gao, c'est le paradis. Après de longues journées sans avoir vu d'autre eau que celle des jerricans qui constituent la plus grosse partie de votre cargaison, vous apercevez le Niger. Et sur ce fleuve majestueux, de superbes embarcations de toute taille, les pirogues avec leurs extrémités effilées.
Je reviens au Mali des dizaines d'années plus tard et je retrouve les pirogues de mes souvenirs. Longues, étroites, elles se déplacent sans bruit sur le fleuve. On les appelle aussi "pinasses" comme les embarcations du Bassin d'Arcachon qui étaient utilisées pour la pêche et l'ostréiculture. Pourquoi ? Je n'arrive pas à le comprendre. Car le mot "pinasse" vient du latin pinus (pin) et est inapproprié pour désigner les pirogues maliennes qui sont fabriquées avec toutes sortes de bois sauf avec du pin. Un Arcachonnais (peut-être celui qui a baptisé la zone côtière de Mauritanie du nom de banc d'Arguin comme le banc situé à l'entrée du Bassin D'Arcachon !) a dû passer par le fleuve Niger il y a fort longtemps et reconnaître les bateaux de son lointain pays. Même si les pirogues maliennes n'ont pas l'avant relevé comme les pinasses du Bassin d'Arcachon... Au contraire, leur particularité est d'être très plates et d'avoir la poupe et la proue très pointues. En tout cas, le nom est resté...
Au Mali, on peut voir ces pirogues partout sur le fleuve. Dans le delta du Niger, selon la légende, la première pirogue aurait été construite au moment du déluge par les 300 djins qui travaillaient pour le prophète Misira. D'autres racontent que c'est le chasseur légendaire Mama Pamanta qui, ayant réussi à se débarrasser de deux serpents très dangereux, hérita de leur pirogue qui n'était autre ... qu'un python. D'autres encore parlent d'une pirogue en or appartenant à la divinité d'eau Maïma. Ce qui est sûr, c'est que les pirogues du Mali sont très anciennes. D'abord construites en jonc, en roseau et en paille, elles sont ensuite taillées dans des troncs de bois. Les techniques évoluant, on est passé de la pirogue monoxyle à la pirogue cousue puis à la pirogue cloutée.
Les pirogues tressées en roseaux étaient encore utilisées il y a quelques générations pour la chasse à l'hippopotame.
Les pirogues monoxyles, de construction simple (un tronc d'arbre évidé et grossièrement ouvragé) seraient contemporaines de la période d'installation des Bozos dans le delta du Niger. Elles se sont répandues dans toute l'Afrique de l'Ouest. René Caillié, au début du XIXe siècle, les évoque dans son Voyage à Tombouctou : "Nous traversâmes le Lin dans une pirogue si incommode, que nous pensâmes renverser. elle était faite d'un tronc d'arbre tortueux, très étroite, et faisait eau; le moindre mouvement la faisait tellement incliner que l'eau entrait à bord." Ces pirogues étaient taillées dans un bois tendre (fromager, baobab...).
Les pirogues cousues, sont fabriquées avec des planches de bois dur, le plus souvent de caïlcédrat (Khaya senegalensis). Elles sont souvent de plus grande taille et permettent le transport de lourdes marchandises. René Caillié raconte : "La grande pirogue qui devait nous conduire à Tombouctou était dans le port, et ... nous allions nous y embarquer. Elle était couverte de nattes, et chargée de riz, de mil, de coton, d'étoffe, de miel, de beurre végétal, et d'une infinité d'autres productions du pays. Cette embarcation me parut très fragile; elle était, comme les petites, jointe avec des cordes; elle avait bien soixante tonneaux de jaugeage."
Grâce à ces pirogues, le Niger et ses affluents deviennent au XIXe siècle le principal axe de commerce de longue distance, Djenné et Tombouctou, situées au carrefour du sel, de la kola, de l'or, des vivres et des esclaves deviennent de grosses places commerciales.
Les pirogues cloutées ne seraient apparues que vers le milieu du XIXe siècle. Nées à Djenné (d'où leur nom de Djenne kurun ou kangué, pirogue de Djenné en bamanan), elles se diffusent rapidement dans toute la région et dans les pays alentour. Plus grandes que les pirogues cloutées, elles s'équipent d'un gouvernail.
A l'heure actuelle, quelques chantiers fabriquent encore des pirogues. Le bois est brûlé ce qui le rend plus malléable. Les planches sont sciées. Les clous sont forgés à l'unité sur place à partir du fer blanc des boîtes de conserve. Pour obtenir une étanchéité maximum, on place des chiffons entre les planches avant de les clouer. Le bois le plus employé est toujours le caïlcédrat même si l'on en trouve de moins en moins. La construction d'une pirogue de 9,5 m peut nécessiter jusqu'à deux tonnes de bois. Les pirogues fabriquées en caïlcédrat ont une durée de vie de vingt ans environ. Encore faut-il choisir un bon bois qui a un bon djinn. La pirogue rapportera alors beaucoup d'argent à son propriétaire. Si l'arbre coupé a appartenu à un mauvais djinn, la pirogue construite avec ses planches ne sera pas excellente et le propriétaire de cette embarcation n'aura plus qu'à la vendre pour en acheter une autre. Sinon il sera toujours malchanceux.
Les pirogues sont encore maniées à la perche pour les plus petites. Les plus grosses sont équipées de moteurs souvent puissants. Il existe encore quelques pirogues à voile. A faible tirant d'eau, elles peuvent naviguer sur le Niger en toute saison. Elles assurent les transports de marchandises (et en particulier du sable) et des personnes. Elles sont aussi utilisées pour la pêche et gardent encore aujourd'hui une dimension culturelle. Elles occupent une place centrale dans les sociétés des pêcheurs Bozos.
Je vous laisse les admirer dans les albums photos du Mali (Bamako, Ségou, Ségou Koro, Environs de Markala) où j'ai ajouté quelques nouvelles images.
A bientôt !