Bonjour,
Aujourd'hui j'ai envie de vous parler du savon de Marseille. Ou plutôt de son histoire.
Le savon était connu dans l'Antiquité. A l'origine, c'est un mélange de suif et de cendres. D'après Pline l'Ancien (1er siècle après J.C.), ce seraient les Gaulois qui l'auraient inventé. Il écrit : "il se prépare avec du suif et des cendres; le meilleur se fait avec des cendres de hêtre et du suif de chèvre; il est de deux sortes, mou et liquide. L'un et l'autre sont en usage chez les Germains et les hommes s'en servent plus que les femmes" (Histoire naturelle XXVII c.12). Le latin sapo (dont le génitif était saponis qui a donné le français "savon") serait un mot gaulois. Ce sapo servait à se teindre les cheveux.
En fait, il est impossible de fixer avec précision la date de naissance du savon. Ce qui est sûr, c'est que des traces écrites mentionnent son existence 2 à 3000 ans avant notre ère. Les Sumériens s'en servaient pour nettoyer la laine et les Égyptiens l'utilisaient comme produit médicinal.
L'ancêtre de notre savon est né en Mésopotamie il y a environ 3000 ans. Ce savon existe toujours : le savon d'Alep. Fait de soude végétale (obtenue à partir de cendres de plantes) et d'huile d'olive, il est réputé pour ses propriétés médicinales.
Les Phéniciens introduisent le savon dans tout le monde méditerranéen. Théodore Priscien, Martial, Tretullien, Galien et plusieurs autres écrivains de l'antiquité connaissent la composition du savon. On a découvert les ruines d'une savonnerie à Pompéi comme des traces de fabrication de savon à Gênes, à Venise ou encore à Savone (certains prétendent que le savon y aurait été inventé par l'analogie qu'ils trouvent entre les deux noms, mais le mot latin sapo détruit cette prétendue origine).
Au IXe siècle, Marseille saponifie son huile d'olive et produit de façon saisonnière son savon. C'est en 1371 que s'installe à Marseille le premier savonnier officiel, Crescas Davin. D'autres fabricants de savons y étaient probablement installés avant cette date, mais il n'en reste aucune trace écrite. Au XVe siècle, Marseille est un centre de production limité aux besoins locaux.
La première grande fabrique de savons est fondée en 1430 à Toulon par un certain Palmier, industriel de Grasse. La réussite fut immédiate. Toulon compte huit savonneries en 1600 et vingt en 1650. Le commerce du savon est si prospère à Toulon que plus de 60 000 quintaux de savon sont produits et exportés par an. Mais la franchise accordée au port de Marseille en 1669, alors que les marchandises entrant et sortant du port de Toulon sont lourdement taxées, signe l'arrêt de cette croissance.
A Marseille, au contraire, cet édit fait décoller l'industrie savonnière. Les importations étrangères sont lourdement taxées. Les savonniers, assurés de vendre leurs produits, fabriquent beaucoup mais un savon de moindre qualité. Pour remédier à ces abus, un édit du 5 octobre 1688, signé par Jean-Baptiste Colbert de Seignelay, secrétaire de la Maison du Roi, fixe les règles de fabrication du savon de Marseille. L'article 3 de cet édit stipule : "on ne pourra pas se servir dans la fabrique du savon avec la barrille, soude ou cendre, d'aucune graisse, beurre ni autres matières; mais seulement des huiles d'olive pures et sans mélange de graisse, à peine de confiscation". Les manufactures doivent cesser leurs activités pendant les mois d'été car la chaleur nuit à la qualité du savon. Le savon de Marseille retrouve une image ... propre au début du XVIIIe siècle et l'industrie marseillaise doit importer des matières premières de tout le bassin méditerranéen pour répondre à la demande croissante. Les Marseillais imitent le savon blanc d'Alicante. Les savons blancs étant les plus réputés, les huiles les plus recherchées sont les huiles les plus blanches qui permettent de fabriquer un savon plus blanc. Les huiles de Draguignan donnent un savon plus blanc que celles de Toulon, celles d'Aix un savon de couleur citrine. Les huiles de Calabre sont aussi réputées pour donner un savon très blanc alors que les huiles de Tunis donnent un savon mou. Celles d'Espagne sont trop colorées.
La fabrication de savon devient industrielle, tant par les volumes que par les procédés normalisés utilisés. En 1786, quarante-huit savonneries produisent à Marseille 76 000 tonnes.
Malgré la révolution puis les guerres napoléoniennes et l'embargo du port de Marseille, l'industrie marseillaise continue à se développer. Le chimiste Nicolas Leblanc met au point en 1791 un procédé qui permet de fabriquer de la soude à partir du sel de mer. A partir de 1820, de nouvelles matières grasses sont importées et transitent par le port de Marseille. Les huiles de palme, d'arachide, de coco, de sésame en provenance d'Afrique et du Moyen-Orient sont utilisées pour la fabrication du savon. En 1823, le chimiste Eugène Chevreul explique la réaction de saponification.
Le savon devient un produit de consommation courante. Les notions d'hygiène élémentaire se répandent en France comme en Europe.
Les progrès techniques, et notamment l'utilisation de la vapeur, permettent d'augmenter les capacités de production des savonneries.
Au début du XXe siècle, Marseille compte quatre-vingt-dix savonneries. L'industrie est florissante jusqu'à la Première Guerre mondiale. Le transport maritime des graines devient alors difficile ce qui porte gravement atteinte à l'activité des savonniers. La production qui était de 179 000 tonnes en 1913 tombe à 52 817 tonnes en 1918.
Après la guerre, les connaissances sur les processus de fabrication progressent encore et la production en 1924 dépasse enfin celle de 1913. Mais survient la crise de 1929 et les exportations chutent. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, Marseille ne produit plus que 120 000 tonnes. La pénurie s'installe et le commerce s'effondre.
A partir de la Libération, l'industrie de la savonnerie ne cesse de décliner. Les poudres à laver, fabriquées à partir de dérivés du pétrole font leur apparition avec les machines à laver. De nouvelles savonneries se créent dans des régions extra-méridionales et les grandes surfaces incitent les consommateurs à acheter toutes sortes de savons qui ne sont pas de Marseille.
Aujourd'hui ne subsistent dans la région marseillaise que quatre savonneries qui continuent à fabriquer le savon de Marseille comme autrefois : la Compagnie du savon à Marseille(www.savon-de-marseille.com), la savonnerie du Sérail (www.savon-leserail.com), la savonnerie Marius Fabre (www.marius-fabre.fr, ma préférée depuis que je la connais) et la savonnerie de la Licorne (www.savon-de-marseille-licorne.com). Allez faire un petit tour sur leur site, vous verrez comment ces savonneries se sont diversifiées.
Le savon de Marseille conserve une image positive qui évoque naturel, simplicité et propreté "à l'ancienne". Le terme "savon de Marseille" n'est pas une appellation d'origine contrôlée. Il correspond seulement à une méthode de fabrication, définie par un code qui limite aussi les additifs. Le savon de Marseille traditionnel se présente sous la forme d'un gros cube de 600 grammes, de couleur marron -vert sur lequel sont gravés la mention "72% d'huile" et le nom de la savonnerie. Il est composé d'huile d'olive, d'huile de coprah et d'huile de palme.
Le savon de Marseille est toujours un produit de qualité qui revient au goût du jour grâce à son caractère écologique et économique. Il a l'avantage d'être 100% biodégradable.
On l'emploie toujours comme désinfectant. Il est recommandé en cas d'eczéma ou d'intolérance aux savons.
On l'utilise aussi pour le lavage du linge délicat ainsi que de celui des personnes allergiques et des bébés.
C'est aussi un anti-mites.
Et si vous avez des crampes ou des douleurs rhumatismales, essayez de mettre un savon de Marseille au fond de votre lit. Il paraît que ça marche. Je n'ai pas essayé !
A bientôt !